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Dématérialisation

On appelle ainsi le remplacement de l’édition papier des documents, par des fichiers numériques.

Elle s’est développée avec la réputation d’être à la fois, beaucoup moins coûteuse, beaucoup plus écologique que le papier, et son nom indique même que cette technique n’utilise aucune matière, donc que son application est illimitée.

Il n’aura échappé à personne que les ordinateurs, tablettes, et serveurs, nécessaires pour manipuler ces données numériques, sont tout ce qu’il y a de plus matériel. Et il n’est pas nécessaire de faire appel à la théorie d’Einstein sur l’équivalence matière-énergie, pour ajouter à ces outils, l’énergie nécessaire pour les faire fonctionner.

Donc, parler de « dématérialisation », c’est tout simplement faux. Si grossièrement faux, qu’il s’agit de tout-à-fait autre chose que d’énoncer une vérité : ce mot recouvre une propagande pour justifier les obligations pratiques, voire obligatoires, de remplacer le papier par le tout-numérique:
Obligation légale : A compter du 1er juillet 2022, les actes réglementaires et les actes ni réglementaires ni individuels [des collectivités locales] doivent désormais être publiés sous format électronique (collectivites-locales.gouv.fr).
L’obligation pour les entreprises établies en France d’émettre et de recevoir des factures électroniques s’appliquera progressivement à partir du 1er septembre 2026. Dans le cadre de cette obligation, il est impératif de choisir une plateforme de dématérialisation partenaire (entreprendre.service-public.fr).
Il n’est pas prévu (semble-t-il) de la rendre obligatoire pour les particuliers : Les collectivités territoriales et leurs groupements sont tenues de fournir une version papier d’un acte publié sous forme électronique à quiconque en fait la demande (collectivites-locales.gouv.fr/). Grand merci!
La déclaration des revenus doit se faire par voie électronique par les contribuables dont la résidence principale est équipée d’un accès internet. Toutefois, l’idée n’est pas de sanctionner cette année [en cas de déclaration papier], la dématérialisation est encouragée, il n’y a pas de dématérialisation forcée (Gérald Darmanin). « Cette année » (2024), dit-il ….

La « dématérialisation » organisée concerne essentiellement des documents professionnels tels que factures, courriers professionnels, publicités (« mailings », sites professionnels …), documents administratifs. Mais elle s’applique à toute utilisation du papier dit « graphique » :  les journaux (pas de donnée quantitative accessible) et les livres (6.6% de tout le papier graphique en 2015 selon graphiline.com, 7.8% en 2021 selon l’ADEME). Toutefois les documents professionnels semblent très majoritaires.

Que peut-on savoir pour une comparaison sérieuse entre papier et numérique ?

Ce n’est pas du tout évident ! Voici tout ce que nous avons pu trouver.

Papier.

Utilisation du bois

Répartition des 53 millions de mètres cubes de bois récoltés par an :
bois d’œuvre, 20 millions,
bois d’industrie, 11 millions (dont les pâtes à papier),
bois pour l’énergie, 22 millions (principalement le chauffage)
(source : agirpourleclimat.net, 2024)

Production et consommation de papier en Europe

Production (source: graphiline.com) 1991 à 2018 :

Consommation de papier en Europe de 1991 à 2019 (https://www.economie.gouv.fr), rapport filiere-papier-carton.pdf :

Il y a diminution sensible de l’usage du papier graphique (documents, livres, journaux) (40% depuis 2007), ce qui s’expliquerait naturellement par le développement du numérique.
Et augmentation constante du carton et papier d’emballage, et du papier hygiénique (environ 75% de 1990 à 2019), ce qui s’expliquerait plus par la croissance de la consommation par personne, que par celle de la population (celle-ci étant seulement de 6% dans le même temps).

Part du papier dans l’utilisation du bois (en France).

La production de papier est inclue dans l’utilisation industrielle du bois. Donc au moins on sait que c’’est (voir ci-dessus) inférieur à 11 Mt.

Pour en savoir plus, c’est là que çà devient flou :
Selon la source INSEE, citée dans lepapier.fr, 2020, en France le papier utilise 6,4 Mt de bois.
Mais agriculture.gouv (2020) – autre organisme gouvernemental – fait état de 1.6 Mt … Différence énorme, sauf que ce dernier document ne précise pas clairement s’il s’agit du poids de bois, ou de papier résultant !!! S’il s’agit du papier, considérant qu’il faut en moyenne 2.5 t de bois pour obtenir 1 t de papier, cela donnerait 4 Mt de bois, certes un peu plus proche des 6.4 Mt, mais encore assez éloigné.

Il est à remarquer positivement que (toujours en France) l’industrie du papier fonctionne avec près des 2/3 en recyclage et 10% de chutes de scierie ; et qu’elle utilise en majorité des essences résineuses, de pousse rapide (parce que c’est ce qui convient le mieux d’un point de vue pratique).

Numérique

On trouve des mesures de la répartition de l’énergie consommée par le numérique.

Voici celle du Shift Project :

On estime en outre que le numérique consomme 56 TWh par an en France, ce qui représente 12 % de la consommation électrique et 3 % de la consommation d’énergie finale. Les équipements des utilisateurs (ordinateurs, tablettes, smartphones, box internet) représentent les trois-quarts de la consommation d’énergie du numérique (45 TWh). (voir par exemple notre-environnement.gouv.fr).

Il serait utile de connaître les proportions d’usage professionnel et d’usage domestique en matériel et en énergie numériques. Cependant, je n’en ai pas trouvé.

COMPARAISONS

Documents d’entreprise

Le principal point de comparaison que l’on trouve sur plusieurs sites de la toile, est constitué par les documents d’entreprise : factures, courriers, documents divers. Cela peut se justifier dans la mesure où ils constituent la plus grande partie des publications.

Clairement, les études ne s’intéressent qu’au coût (la seule chose qui importe aux entreprises) et la majorité d’entre elles annoncent que le gain de coût du numérique par rapport au papier est entre 2 et 4.

Mais : 1) ce calcul ne parle que du coût pour l’entreprise ; une partie de l’utilisation de l’informatique pourrait être en réalité gratuite (les serveurs « clouds » externes, financés au moins partiellement par des publicités), comme pour des particuliers. Par ailleurs, les énormes possibilités d’archivage informatique auraient tendance à multiplier à l’excès le volume de documents stockés plus ou moins ad aeternum.

2) le gain obtenu suppose qu’il n’y a plus d’usage du papier ; or on estime par ailleurs que 1/3 des documents sont imprimés, car beaucoup de gens préfèrent lire sur papier que sur écran, et de fait il a été remarqué par les psychologues que l’attention portée à une lecture sur papier est meilleure qu’une lecture sur écran. Et aussi, cette dernière, malgré de très gros progrès depuis 30 ans, reste encore plus fatigante pour la vue qu’une bonne impression sur papier. En général, un document imprimé est un meilleur outil de travail qu’un document sur écran.

Un autre critère a été étudié : l’impact écologique.  Celui du numérique est-il meilleur que celui du papier ? Nous restons ici dans le milieu professionnel :
Une étude rendue publique par La Poste (BROCHURE-ACV-WEB.pdf) concerne 16 indicateurs caractérisant complètement tout impact écologique. Ils ont été appliqués sur 5 types de documents de nature professionnelle : publicité, catalogue, prospectus, promotion d’enseigne, facture. Résultat : le papier est nettement moins polluant que le numérique pour 3 de ces 5 cas ; il l’est plus pour les catalogues, et à peu près autant pour les factures.

Livres

Cas des livres, qui ne représentent qu’un petite fraction de l’ensemble des publications. On trouve des comparaisons entre papier et liseuse, relatives à l’impact écologique :

Le site reporterre.net rapporte les résultats de 2 études, celle de cleantech group, et celle de Carbone 4:

Organisme / commanditaireEmission CO2 lors de la fabrication de l’appareilEmission CO2 pour 1 livre papierRapport: nb min de livres pour que la liseuse soit rentable
Cleantech / AmazoneKindle : 168 kg7.4 kg23
Carbone 4 / HachetteSony reader : 235 kg1.3 kg180

Je n’ai pas d’explication pour la grande différence de résultat entre les deux études (elle ne peut tout de même pas être attribuée à la seule différence des modèles – le Kindle étant plus récent) ; je ne vois pas de raison de mettre en doute l’honnêteté des deux études.

Je n’émettrai donc pas de conclusion, mais j’ajouterai ceci :

  1. Dans ces enquêtes, on a le coût complet de la liseuse, mais quid du coût du stockage des livres numériques sur les serveurs ?
  2. Un livre a vocation à être relu. Pour ceux que l’on ne lit guère qu’une fois : la solution papier, associeé à une utilisation massive des bibliothèques publiques (et maintenant des « boîtes à livres » en libre accès) pourrait réduire énormément son coût.
  3. L’avantage du livre peut être de nature pratique et psychologique, je le constate sur moi-même. J’apprécie beaucoup la liseuse, particulièrement utile quand on voyage; sa qualité optique est tout-à-fait acceptable. Mais je trouve le livre papier beaucoup plus pratique lorsque j’ai à le relire ou à l’annoter.
  4. Le livre est plus durable que la liseuse (10 à 50 fois)

Le peu de comparaisons accessible ne permet pas de déclarer positivement qui du numérique ou du papier l’emporte nettement en impact écologique. Toutefois, en perspective à plus ou moins long terme, la « post-croissance » qui se déclare aurait pour effet de diminuer, beaucoup plus rapidement que le papier, l’importance du numérique en même temps que celle de l’énergie ; dans ce contexte, l’usage du papier se réduira aussi naturellement ; mais le livre relié aura encore de beaux siècles devant lui.

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