Certains préfèrent la vie en appartement et en ville. Mais pour ceux qui souhaitent vivre dans une maison avec jardin et qui ne le peuvent pas, ce serait techniquement possible, voire écologiquement souhaitable ; il ne faut pas croire qu’il n’y a pas assez de place pour cela, ce serait faux. Le seul obstacle est dans la volonté des pouvoirs publics de ne pas en réaliser les conditions, par exemple en rendant la propriété financièrement inaccessible ; une méthode consiste à laisser les prix de l’immobilier grimper de telle sorte qu’ils n’ont plus rien à voir avec leurs prix de revient.
Il y a bien eu pendant plusieurs générations la pratique des maisons ouvrières et des jardins ouvriers [1] ; pourquoi ne pas les continuer ?
On constate, c’est un fait, que dans les grandes agglomérations, beaucoup de gens disent préférer l’appartement à la maison ; et il y a quelques raisons pour cela. Pourtant, souvenons-nous que jusqu’à il y a peu, la grande majorité de la population française (et mondiale) était vouée à l’agriculture ; et pas seulement par nécessité ; par vocation aussi. La plupart d’entre nous sont « paysans » dans l’âme. Beaucoup l’ont oublié depuis l’exode rural. Mais cette vocation ne demanderait qu’à se réveiller. Ainsi, beaucoup qui disent maintenant préférer l’appartement à la maison-avec-jardin, changeraient d’avis si les circonstances pouvaient favoriser cette vocation latente.
Calculons. La densité de population est en France de quelque 110 à 120 habitants / km2. Attribuons par exemple une moyenne de 140 m2 par habitant, soit 560 m2 pour une cellule familiale de 2 parents et 2 enfants – occupé, mettons, par 80 m2 de surface au sol de maison, et 480 m2 de jardin. Cela ferait environ 1.5 % du territoire français occupé en propriétés. Ce n’est quand même pas énorme. Et pour replacer ce chiffre dans son contexte, rappelons quelle est l’occupation du territoire de notre pays, en pourcentages (recensement de 2006 – source non retrouvée) :
| type | 1980 | 2006 |
| agricole | 57.8 | 53.7 |
| agricole non cultivé | 5.0 | 4.6 |
| bois et forêts | 26.6 | 28.4 |
| non agricole | 10.6 | 13.3 |
A noter, en positif, l’augmentation de la surface boisée. A ce propos, il faut souligner notre capacité à utiliser massivement le bois comme source de chauffage, pourvu que ce soit fait intelligemment.
Les 13.3% de surface « non agricole » comprennent 8.1% de surface dite « artificialisée », les 5.3% restants étant du « milieu naturel », sans doute principalement de la haute altitude. La surface artificialisée contient les établissements construits ou organisés : agglomérations, comprenant aussi les espaces verts, les zones industrielles ; ainsi que routes et autres voies de communication, ces derniers pour pas moins de 2.5% (plus de 3% en 2000, selon Jancovici, http://www.manicore.com/). Les constructions humaines se font au détriment de la surface agricole.
Nous sommes encore loin, naturellement, de pays européens à population beaucoup plus dense que la nôtre. Ainsi, la Belgique en est à environ 20% de surface artificialisée.
Notre proposition de 1.5% de superficie pour les « maisons avec jardin » couvrirait moins de surface que les routes ! Il est en partie réalisé, dans la mesure où (en 2000) 56% des Français vivent en maison individuelle (contre 48% en 1992 – mais il n’est pas certain que ce pourcentage ait continué à augmenter, à cause de l’envol des prix immobiliers). Bien sûr, ces maisons n’ont pas toutes des terrains conséquents ; certaines n’en ont pas (maisons dites « de ville »), d’autres en ont des énormes.
C’est donc réalisable en pratique ; cela peut être écologiquement bénéfique, pourvu que quelques principes de base soient à peu près respectés.
Bénéfices directs : sur la santé ; meilleur air, meilleure humeur, activité physique régulière et variée, et meilleure nourriture pour les amateurs de potagers. Pour ces derniers aussi, l’économie sur l’achat de fruits et légumes, à priori marginale, peut s’avérer non négligeable s’ils sont bien organisés.
Bénéfices sur la vie de quartier : vous donnez votre surplus aux voisins ; certains d’entre eux font de même…. Occasions d’échanges, occasions de créer une vraie « vie de quartier » (ce qui était vraiment le cas dans les « jardins ouvriers »).
Bénéfices indirects : vous avez un joli jardin, vous éprouvez moins le désir de partir (le dimanche ou le week-end par exemple – voire l’été) : moins de circulation, moins de pollution urbaine, moins de dépense ; moins besoin de routes….
L’intérêt d’un jardin avec potager est aussi de
– pallier la carence des agriculteurs et maraîchers, devenus incapables de produire des espèces savoureuses ; l’exemple le plus cité est celui de la tomate, mais il y en a bien d’autres ! Devenus incapables, pas entièrement de leur faute, mais en partie du fait des distributeurs et de l’organisation générale de la « société de consommation ».
– empêcher la disparition des espèces qui, non seulement ne sont plus proposées chez les marchands, mais encore sont parfois interdites ! Comme s’il y avait une volonté de couler toute la consommation dans un même moule. Comme si… ce n’est pas « comme si » : cette volonté est bien réelle, c’est l’une des méthodes de la « consommation de masse ».
– last but not least : réaliser un équilibre écologique ; pour cela, il est bon de répartir sur son terrain les surfaces dites d’« agrément » (fleurs et arbres ou arbustes – y compris fruitiers mais pas seulement : il faut de tout), et de cultures vivrières. L’ensemble devrait respecter les conditions naturelles (de sol et climat ; maintien d’espèces vivant naturellement sur le terrain, flore et faune – dont les abeilles ; cela m’étonnerait qu’il y ait beaucoup de ruches en banlieue parisienne, mais lors de la floraison de mes pommiers et framboisiers, il y a plein d’abeilles : elles doivent venir de loin, mais elles viennent).
Ne faire que du potager dans tout un quartier serait mauvais, pour l’équilibre écologique, et en définitive pour les potagers eux-mêmes ; ne faire que de l’ « agrément » serait mauvais aussi : il faut arrêter les cahiers des charges interdisant les cultures potagères dans les lotissements, et encourageant les pelouses : celles-ci sont peut-être acceptables en climat très océanique (Bretagne et Normandie côtières), mais un non-sens ailleurs à cause des besoins en arrosage.
Il est bon enfin d’utiliser des méthodes elles-mêmes écologiques (faire son propre terreau, voire fumier ; recueillir l’eau de pluie pour l’arrosage…)
La saine pratique des jardins ouvriers s’est diluée. La pratique du potager familial n’est guère encouragée, tout au plus admise comme un phénomène marginal et qui doit surtout le rester. En effet ! Supposons que chacun d’entre nous en ait un. Chute de la production agricole de fruits insipides et légumes immondes ! Baisse du marché des fleurs inodores ! Et surtout, chute de leur vente dans les supermarchés, génératrice de marges beaucoup plus juteuses que les tomates qui y sont vendues ! Quant à l’utilisation des techniques écologiques, ce serait la disparition du marché fort lucratif des jardineries – c’est pourquoi ces techniques sont en passe d’être interdites à la diffusion. Tout ce qui pourrait aller dans le sens d’une baisse de consommation de masse est également rejeté. De plus, ici nous aurions une diminution du besoin de partir (en week-end, voire en vacances), donc moins de consommation de moyens de transports ; une meilleure santé donc moins de consommation de produits médicaux [2].
En outre, tout ce qui pourrait aller dans le sens d’une auto-suffisance même très partielle, est rejeté par le système de domination économique moderne. Ici, notre potager familial conduirait à une auto-suffisance partielle en fruits et légumes [3] ; de bonne qualité, ce que ne peut ni ne veut fournir la « grande distribution ».
A un niveau beaucoup plus général, j’ai émis par ailleurs (article Consommer moins, vivre mieux) l’idée que chaque région ou chaque pays tende vers l’auto-suffisance pour les 4 besoins matériels fondamentaux ; dans la mesure des ses possibilités bien sûr ; ainsi un pays comme la Belgique atteint probablement l’auto-suffisance en endives, la Hollande est plus qu’auto-suffisante en belles tulipes et tomates de serre insipides ; mais leur densité de population leur interdit l’auto-suffisance complète en ce qui concerne les 4 besoins ; pourtant, ce que l’on ne peut pas réaliser à l’intérieur de chacun de ces pays, on peut le faire au moins à l’échelon européen.
[1] Pour les maisons ouvrières, voir par exemple mes photos du quartier St Leu à Amiens sur mon ancien site : http://marc.gensane.free.fr/images/Amiens.htm . Dans la même ville, en dehors du centre proprement dit, des territoires entiers étaient constitués de jardins « ouvriers » contigus : celui du Chemin-Vert contre le cimetière St Acheul, celui de la Fosse-au-lait où j’allais cueillir des pommes ; qui ont cédé la place à des lotissements impersonnels (avec, dans le cahier des charges, interdiction de cultiver) ; celui de la rue Vulfran Warmé, qui subsiste encore partiellement, et bien d’autres …. Lorsque nous habitions en immeuble dans les années 1960, tous les appartements des immeubles du quartier avaient leur petit jardin attitré (100 m2), que beaucoup cultivaient soigneusement. A Longueau, près d’Amiens, les logis des agents SNCF qui composaient la plus grande partie de la population de cette ville, étaient tous des petites maisons avec jardins : quasiment tous étaient soigneusement cultivés de fleurs, légumes, et arbustes.
[2] Les pouvoirs publics sont attentifs à tout ce qui pourrait nuire à la production économique, donc entre autres, les maladies entraînant des arrêts de travail ; mais les petits inconvénients dus à la pollution et au stress de la vie courante diminuent la santé à petit feu, risquent de jouer sur l’état de santé une fois atteint l’âge de la retraite, mais n’entraînent pas d’arrêts de travail caractérisé, et n’intéressent guère les pouvoirs publics inféodés au système économique.
[3] A titre d’exemple, le mien, 4 personnes à la maison jusqu’en 2003. Sur 380 m2 de terrain hors maison, je consacre environ 200 m2 aux fruits et légumes. Les années où j’ai le loisir de m’en bien occuper, je pense avoir récolté la moitié de notre consommation annuelle (tout en en donnant) : surtout des légumes variés d’été (productions de mai-juin à octobre), quelques légumes d’hiver, 3 à 5 mois de fruits (dont figues en 2 périodes de production : ce n’est pas pour rien que le figuier est symbole de vie ! Et framboises : vous n’avez pas idée de ce que peuvent produire quelques mètres carrés de framboisiers !).